vendredi 7 septembre 2012

RICHARD MILLET M'A RENCONTRE A LA STATION "LES HALLES", ET M'A DIT : Dr LIVINGSTON, JE PRESUME ?

Richard Millet dans le RER

Créé le 04-09-2012

L’auteur de l’«Eloge littéraire d’Anders Breivik» s’inquiétant d’être le seul homme blanc à la station Châtelet-les Halles, 

 Arno Bertina et Oliver Rohe sont allés voir ce qu’il en est, sur le quai du RER D. Tribune. 


Richard Millet chez Lipp, en 2007. (SIPA)
Richard Millet chez Lipp, en 2007. (SIPA)
 
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Nous arrivons peut-être un peu après la bataille. Des textes ont paru un peu partout dans la presse, pour attaquer, défendre et débattre de la tonalité (raciste ou non) des deux nouveaux pamphlets de Richard Millet publiés aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, et spécialement de son «Eloge littéraire d’Anders Breivik».

Si nous prenons néanmoins la parole, c’est que le débat n’a pas pris en compte ou interrogé la base du discours de Richard Millet. Et ce point de départ que personne ne réfute ni ne remet en cause, que beaucoup valident donc implicitement, est le suivant: Richard Millet serait le seul homme blanc présent à la station Châtelet-les-Halles, en fin de journée.

Nous nous sommes rendus sur place pour vérifier si à notre tour, aux alentours de 18 h, nous pouvions être le seul blanc à la station Châtelet-les-Halles. Manque de chance, en ce soir du 2 septembre 2012, nous avons compté — sur le quai du RER D en direction d’Orry-la-Ville — 247 Blancs, 127 Noirs, 88 Asiatiques, 179 Arabes et 92 métis… Impossible de nous targuer d’être le seul et unique Blanc de la gare. 

Millet au pied de la lettre

Pourquoi prendre Richard Millet au pied de la lettre? Parce qu’il se réfugie dans l’ironie lorsqu’il est pris la main dans le sac – le titre «Eloge littéraire d’Anders Breivik»serait ainsi «ironique» (mais que vaut une ironie que nul ne saisit et que l’auteur doit souligner dans chaque interview? Rien de plus qu’une maladresse: «Peut-être ai-je été maladroit dans ma formulation»).
Escamoter cette donnée matérielle têtue (la composition démographique de la station Châtelet-les-Halles à 18h) est le premier pas — indispensable, décisif — vers la construction du fantasme minoritaire qui a pour nom Richard Millet. Il nous paraît quand même assez embarrassant qu’un écrivain qui se rêve grand injurie à ce point la langue et le réel, faisant dire à la première n’importe quoi sur le second. Mais c’est que cette opération — l’injure — lui est nécessaire: en se débarrassant de ce détail qu’est le réel, il lève l’obstacle principal au déploiement de son discours.
La station RER de Châtelet-Les Halles, en 2008 (Sipa)
La station RER de Châtelet-Les Halles, en 2008 (Sipa)

Un pamphlet n’est pas un roman, un programme n'est pas de la littérature

Car c’est bien de discours dont il est question, et non de littérature. Quand Richard Millet invoque l’ombre, la figure et le modèle de Dostoïevski écrivant «Les Démons» (un roman inspiré d’un fait divers au tournant de 1870), une fois de plus, il fait semblant d’oublier un élément capital: Dostoïevski a écrit un roman, et non un pamphlet où l’auteur parle en son nom, où ses opinions et sa personne ne font plus qu’un. C’est aussi, sur le plan formel, une différence de nature: le roman est le lieu de la question, de la contradiction et du conflit, là où le pamphlet est celui du discours véhément et univoque, monolithique, sans altérité possible, sinon sur le mode du dénigrement, de l’invective et de l’insulte. Richard Millet veut tirer à lui les bénéfices du roman (le rempart qu’il peut offrir à son auteur, l’absolue liberté d’expression et de création qu’il confère) sans fournir l’effort d’en écrire un, lui préférant en l’occurrence la voie rapide du pamphlet.

04 09 12 OliverRohe DR
Né à Beyrouth en 1972, OLIVER ROHE est venu vivre à Paris en 1990. Co-fondateur du collectif Inculte, il est notamment l’auteur de «Défaut d’origine» (Allia), d’«Un peuple en petit» (Gallimard) et, au printemps dernier, de «Ma dernière création est un piège à taupes. Mikhaïl Kalachnikov, sa vie, son œuvre» (Inculte). (DR)
«Les Démons» est un roman dans lequel les consciences et les idées se confrontent, inlassablement, sans jamais se résoudre — et cette contradiction, qui est le propre de la littérature, désigne sa force. Dans les deux derniers pamphlets qu’il vient de faire paraître, «La langue fantôme» et «L’antiracisme comme terreur littéraire», Richard Millet ne fait à aucun moment obstacle à ses propres idées et à ses propres convictions, en les confrontant à des idées et à des convictions différentes ou symétriquement opposées, comme Dostoïevski l’a fait, et Balzac avant lui, par exemple. Il déroule un programme — et un programme, même rédigé avec des phrases longues, des hyperboles et des registres de langue soutenus, ce n’est pas de la littérature; ça n’en a pas l’intelligence et la puissance.

Pestiféré n'est pas synonyme de génie

Cette contradiction essentielle, à défaut de la produire dans un roman, genre qu’il ne cesse de répudier (sans doute du fait de sa bâtardise, ou parce qu’il est informe et met en crise tous les discours), Richard Millet la déplace sur lui, sur sa propre personne, sur son corps de douleur, en se décrivant dans la position du minoritaire irréductible, du pestiféré génial (génial parce que pestiféré), de la tête brûlée prenant le maquis.

04 09 12 ArnoBertina DR
Né en 1975, ARNO BERTINA, membre du collectif Inculte, est l’auteur de plusieurs récits, romans et essais comme «le Dehors ou la migration des truites» (Actes Sud), «Ma solitude s’appelle Brando» (Verticales) ou encore, l’hiver dernier, de «Je suis une aventure» (Verticales). Avec François Bégaudeau et Oliver Rohe, il a également co-écrit «Une année en France» (Gallimard). (DR)
Ce que de toute évidence il n’est pas: édité par Gallimard, fréquemment commenté dans la presse (il est vrai au prix d’une escalade verbale dont on ne voit pas les limites – «quand je parle de façon diplomatique, personne ne m’écoute»), fréquemment invité sur les plateaux d’émissions de télévision où on l’entendra répéter – et peu importe le paradoxe, assez cocasse – qu’il est un «homme de l’ombre»), éditeur et membre du comité de lecture de Gallimard, soi-disant faiseur de Goncourt (il ne prend jamais la peine de récuser ce qualificatif qu’il doit trouver flatteur), soi-disant grantécrivain (seul qualificatif qui arrache au viril intraitable et ombrageux qu’il veut être un gloussement de satisfaction).  
Cette série d’injures, de torsions et de déplacements prend pour lui l’apparence de la vérité, mot qui lui revient sans cesse en bouche et dont il se croit le dépositaire exclusif et messianique (cf. le «corps de douleur» et cette confession récente: «Depuis dix jours je souffre» — lui et non pas les familles des 77 victimes norvégiennes, ou encore les quelques millions d’immigrés dont il conteste la présence, selon lui mortifère). 

Tout propos qui viendrait contredire cette vérité est pour lui le signe d’un aveuglement, d’une hypocrisie de l’interlocuteur. Partant, cette vérité qu’il défend est une citadelle assiégée, nécessairement assiégée.

Arno Bertina & Oliver Rohe

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