BY COURTESY OF "MINUTE"
Les plus anciens lecteurs de « Minute » se souviennent peut-être d’Edouard Limonov, qui a eu son heure de gloire dans les années quatre-vingt.
Il débarquait en France précédé d’une réputation sulfureuse, avec dans ses bagages un livre, Le poète russe préfère les grands nègres, où il retraçait sa vie de clochard à New York, après s’être fait expulser d’URSS. En quelques mois, le Paris branché adopta cet enfant terrible du brejnévisme qui se présentait comme le premier punk de l’Union soviétique, le « Johnny Rotten de la littérature », du nom du chanteur déjanté des Sex Pistols.
Rapidement, Jean-Edern Hallier le repéra. C’était une créature selon son goût. Il engloutissait des quantités phénoménales de vodka, en portant des toasts au Petit Père des peuples, tout en célébrant la beauté de l’esthétique nazie. Ça jetait un froid dans la conversation. Mais pas dans le cerveau en ébullition de Jean-Edern, qui échafaudait d’invraisemblables scénarios dignes des Pieds Nickelés, se voyant marcher sur Rome et prendre d’assaut le Palais d’Hiver, avec Henri Krasucki et Jean- Marie Le Pen qui étaient alors ses deux modèles. Des putschs, des punchs et des punks. Il n’en fallait pas plus pour enflammer Jean-Edern.
Limonov et lui, c’était un peu les Bonnie and Clyde de la polémique, sensibles seulement aux extrêmes et aux mélanges nitroglycérinés. Limonov signait des papiers retentissants aussi bien dans « L’Idiot international » que dans le premier « Choc du mois ». C’était le temps béni des alliances transversales et des fronts renversés.
On était en 1993, entre les derniers jours de Bérégovoy et l’interrègne balladurien. Didier Daeninckx, rebaptisé Didier dénonce par Patrick Besson, ressortit un vieux serpent de mer, le complot rouge-brun, destiné à faire taire tous les irréguliers et tous les dissidents. La presse s’empara de l’affaire. « L’Idiot » cessa de paraître, « Le Choc » aussi. Limonov regagna la Russie. C’est là qu’Emmanuel Carrère, le fils de l’historienne et académicienne Hélène Carrère d’Encausse, le retrouva, pour lui consacrer d’abord un reportage, puis une biographie magistrale, sobrement intitulée Limonov.
De retour au pays, Limonov s’empressa de lancer avec Alexandre Douguine, le pape de l’eurasisme, le Parti national-bolchevique, une organisation tenant plus de la milice privée que de l’organisation de masse. Rouge-brun, mais sous le pavillon noir de la piraterie. Tout était alors possible dans cette Russie eltsinienne – « Eastern » livré aux prédateurs de toutes sortes. C’est dans ce chaos que se dressa Limonov, mélange de Barbe Noire, de Mad Max et du dieu Mars, le dieu de la guerre. Un peu Raspoutine et un peu Netchaïev, le père des nihilistes russes, alliant le « No Future » punk à La technique du coup d’Etat de Malaparte.
Limonov rêvait de prendre le Kremlin. C’est le Kremlin, finalement, qui lui a tout pris, le jetant en prison en 2001, sous l’inculpation de trafic d’armes et de tentative de coup d’Etat. Condamné à quatorze ans de prison, il sera finalement relâché au bout de deux ans.
De là, il rejoindra le camp des opposants à Poutine. Les deux hommes étaient pourtant faits pour s’entendre. Mais voilà, c’est Poutine qui a mis en œuvre le programme que Limonov consigna dans son « Manifeste du nationalisme russe », pas lui.
Il semble dire au tsar Poutine, dans un mélange de dédain, de dépit et d’envie: « Ote-toi de mon soleil! »
UAUC’est ce Diogène futuriste que nous restitue Carrère dans un livre aussi touffu que la Russie. A lire toutes affaires cessantes.
François-Laurent Balssa
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire