POPULISME ? ...OU NATIONALISME ?
Politique. Le ras-le-bol de l'islam et de l'immigration est le ferment de la vague populiste en Europe.
L’Europe aux couleurs populistes
Des millions d’électeurs européens ne craignent plus d’afficher leur rejet de l’islam et de l’immigration.
Les raisons dépassent les problèmes économiques ou sociaux. De très loin.
Le fracas – et l’effroi – suscité par les mouvements appelés populistes n’a d’égal que leur succès croissant. Il dépend encore souvent du charisme et du talent de leur fondateur mais tous ces mouvements ont un point commun : ils mettent en cause directement, parfois de façon brutale, l’immigration et la présence d’un islam importé, de plus en plus mal supporté, jugé incapable de s’intégrer dans le modèle culturel européen.
Ce phénomène de rejet est lié à la crise économique, explique le politologue Dominique Reynié (professeur à Sciences Po) dans l’Opinion européenne en 2010 : « Les périodes de crise favorisent les réflexes de repli, les opinions xénophobes, les sentiments hostiles à l’immigration. » L’explication paraît courte.
Spécialiste des questions européennes à la Fondation Robert-Schuman, Magali Balent évoque pour sa part « un extrémisme de la prospérité » (comme en Italie, aux Pays-Bas, en Suisse) : « La réaction identitaire s’explique par l’inquiétude réelle ou fantasmée que provoque l’arrivée massive d’immigrés sur le sol national, perçue comme une menace pour la prospérité économique relative du pays et un risque de déclassement. »
Magali Balent estime que ce phénomène populiste va durer : « La nouvelle poussée de l’extrême droite sur la scène européenne ne doit pas être interprétée comme un phénomène conjoncturel voué à disparaître lorsque la situation socioéconomique des populations vivant sur son territoire se sera améliorée. »
C’est ce que pense aussi Pierre Manent, 61 ans, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), héritier de Raymond Aron, cofondateur de la revue Commentaire en 1978. Penseur fécond et non conformiste, respecté à gauche, parfois négligé à droite, Manent publie les Métamorphoses de la cité, une réflexion stimulante sur la place de l’Occident dans l’Histoire et sur un sujet des plus sensibles : la place des musulmans en Europe.
Cette grande voix du libéralisme politique est, de ce fait, la meilleure grille d’analyse du phénomène populiste européen.
Sur ces sujets, Pierre Manent regrette « un langage entièrement routinier », prisonnier d’habitudes de pensée. Il parle d’« une répétition incantatoire ». Dans un entretien confié à notre revue soeur, le Spectacle du monde, à paraître début décembre, l’universitaire fait cette remarque : « Je suis très surpris de la léthargie des Européens qui semblent consentir à leur propre disparition. Pis, ils interprètent cette disparition comme la preuve de leur supériorité morale. »
Pierre Manent n’hésite pas à mettre en perspective cette « misère du monde qui vient à tout moment nous visiter » et l’attitude étonnante des Européens : « Ils s’abandonnent au mouvement des choses, qu’ils appellent “mondialisation”. Or, il n’y a pas d’illusion plus dangereuse que celle qui consiste à croire que la politique appartient au passé et que le mouvement de la civilisation démocratique se suffit à lui-même. »
La tonalité est la même dans un autre entretien passionnant, paru dans le Nouvel Observateur du 10 novembre : « La gauche ne sait plus sur quoi arcbouter sa protestation, car l’enjeu de la bataille se déroule désormais entre un processus mondial et un “nous” qui tend spontanément à être défini comme national plutôt que social.
Alors que la crise fait rage, ce sont donc les droites nationales qui, dans les différents pays d’Europe, se trouvent en situation de ramasser la mise. »
Son analyse permet de comprendre pourquoi et comment les mouvements populistes rencontrent un tel succès en Europe, face à des partis traditionnels – de gauche ou de droite – qui n’arrivent plus à se situer entre le peuple et son État-nation protecteur, et la mondialisation organisée par les technocrates bruxellois, les financiers du FMI et les experts de la Banque mondiale.
Cet univers global, producteur d’insécurité et de règles incontrôlables, est rejeté par la vague populiste.
Le retour du religieux nourrit les revendications
«La situation est très difficile parce que la nation est profondément affaiblie et que l’entreprise européenne, conçue comme construction d’institutions supranationales, a touché ses limites », observe Pierre Manent. Comment en sortir ? « Il faudrait que nous acceptions de nous définir par rapport au reste du monde, que nous admettions que l’Occident, notion impopulaire s’il en est, a une vie propre à défendre. »
C’est exactement ce que disent les mouvements populistes, de façon plus brutale. Ils font mouche car leurs messages rencontrent les craintes des peuples : ne pas renoncer à soi-même et affirmer ses valeurs pour mieux se défendre ; retrouver ses racines sous la protection de l’État-nation. « Pendant des années, poursuit Manent, l’Europe a cru qu’elle pouvait se laisser glisser doucement vers une sorte de fusion dans une humanité qui aurait surmonté toutes les séparations. Eh bien, elle ne tardera plus à se réveiller. »
Ce réveil est en cours, porté par la vague populiste. Sa force est d’aborder de front la question religieuse, un débat avec lequel l’Occident pensait en avoir fini, à la faveur de sa déchristianisation. La question revient en boomerang, note Manent, « par la confrontation avec des acteurs majeurs du monde présent, comme l’islam ou Israël, pour qui le rapport de l’humanité à ce qui est plus grand qu’elle est une composante essentielle des situations politiques ».
Passé insidieusement de la sphère privée au domaine politique, ce retour du religieux nourrit la revendication populiste, sa quête de repères, sinon de racines.
Le phénomène se vérifie du nord au sud de l’Europe, dans les cultures de tradition catholique, luthérienne ou calviniste.
Confrontés au dynamisme de l’islam, porté par une immigration massive de plus en plus mal supportée, ces peuples commencent à prendre conscience de leur propre affaissement – démographique, politique et économique.
À cela s’ajoute l’absence de débat sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Cette échéance cruciale pose la question de l’identité réelle de l’Europe.
L’Europe coupable d’un “abandon de poste”
Les peuples européens ont été victimes de ce que Pierre Manent appelle « un sentiment décroissant de fierté collective », une « dépossession progressive des nations européennes », dans une Europe en pleine « zone dépressionnaire », marquée par des « retraites successives interprétées comme autant de progrès dans la construction européenne ». Lorsqu’il parle d’« un abandon de poste », il constate que l’Europe s’est mise en vacance du monde, au balcon de sa propre histoire.
Jusqu’au réveil populiste de ces dernières années, les Européens n’osaient plus affirmer leur identité. L’idée même d’appartenance communautaire suscitait chez eux « une sorte de malaise ». Pierre Manent l’assure : l’Europe retrouvera sa voix « quand elle voudra bien reconnaître ce qui la distingue ».
Le message papal n’est pas très loin. Après Jean-Paul II qui demandait aux catholiques, notamment aux jeunes, de s’affirmer sans crainte, Benoît XVI affirme à son tour, très clairement, ce qui distingue l’Europe et ce qui fait sa force : son héritage chrétien. Il vient de le redire à Saint-Jacques-de-Compostelle et à Barcelone.
Jusqu’au réveil populiste de ces dernières années, les Européens n’osaient plus affirmer leur identité.
L’idée même d’appartenance communautaire suscitait chez eux « une sorte de malaise ». Pierre Manent l’assure : l’Europe retrouvera sa voix « quand elle voudra bien reconnaître ce qui la distingue ». Le message papal n’est pas très loin. Après Jean-Paul II qui demandait aux catholiques, notamment aux jeunes, de s’affirmer sans crainte, Benoît XVI affirme à son tour, très clairement, ce qui distingue l’Europe et ce qui fait sa force : son héritage chrétien. Il vient de le redire à Saint-Jacques-de-Compostelle et à Barcelone.
Frédéric Pons
Les Métamorphoses de la cité, de Pierre Manent, Flammarion, 426 pages, 23 €.
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