vendredi 4 juin 2010

CHRONIQUE DE L'OBSCURANTISME





Avant-première – Monde & Vie n° 828 du 5/6/2010 :

Les Lumières contre les Hommes


Posted: 03 Jun 2010 11:00 PM PDT

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Les Lumières enténébrées de François Marie Arouet, dit Voltaire

De tous les philosophes des Lumières – avec Rousseau, qui fait bande à part – Voltaire est le plus connu. Mais le connaît-on si bien que cela ? Il y a loin de la légende à la réalité.

L’autre jour, au fond d’un vallon / Un serpent piqua Jean Fréron ; / Que pensez- vous qu’il arriva ? / Ce fut le serpent qui creva. »

Pauvre Elie (et non pas Jean) Fréron! « Coupable » de défendre avec courtoisie et brio, dans son «Année littéraire », la religion catholique et la monarchie,

il fut la cible des attaques répétées des Philosophes, et de Voltaire au premier chef.

Leurs menées aboutirent à faire plusieurs fois suspendre la parution de « l’Année littéraire », le journal de Fréron, et valurent à celui-ci plusieurs séjours à la Bastille et au For-l’Evêque.

Sa feuille fut finalement interdite en 1775 par le garde des Sceaux Miromesnil, et Fréron mourut l’année suivante.

Je pense à lui lorsqu’il m’arrive de lire la vertueuse déclaration, d’ailleurs apocryphe, que l’on prête à Voltaire :

« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire. »

Quelle blague ! Rarement « philosophe » aura montré une telle puissance de haine envers ses adversaires, une haine qui ne tenait pas seulement à la divergence d’idées, mais à l’orgueil et à la vanité incommensurables de l’homme de Ferney.

Malheur à qui le froissait : l’audacieux pouvait s’estimer heureux s’il ne faisait que les frais de sa causticité. Xavier Martin a raconté, dans son « Voltaire méconnu »(1), l’opiniâtreté que mit ce prétendu défenseur de la liberté de conscience à faire emprisonner le protestant La Beaumelle, par lui qualifié de « misérable échappé des Cévennes » ;

ou comment il tenta de faire condamner à mort Jean-Jacques Rousseau à Genève, en forgeant de toutes pièces, dans l’oeuvre du « promeneur solitaire », des blasphèmes odieux.

Voltaire faussaire ? Mme de Grafigny, qui le connaissait bien, écrivait qu’il peut se montrer « plus fanatique que tous les fanatiques qu’il hait ».

C’est cette même force de haine qu’il déploie dans ses attaques contre le catholicisme.

Dans Candide, résumé de toutes ses oeuvres selon Flaubert, il réussit une satire équivoque de la Théodicée de Leibniz, des abus de la religion, des amours monastiques, de la barbarie du code pénal, etc.

L’ironie et la moquerie appuyant l’idée, font les délices de la société insouciante et légère qui peuple les salons du XVIIIe siècle. « Combien a-t-il fait de personnages différents pour nous instruire ? » disait Mably. « Ne paraissant presque jamais sous son nom, tantôt c’est un théologien, un philosophe, un chinois, un aumônier du Roi de Prusse, un indien, un athée, un déiste ; que n’est-il pas ? Il écrit pour tous les esprits, et même pour ceux qui sont plus touchés d’une plaisanterie ou d’un quolibet que d’une raison. »

S’il prend la défense d’un Calas, victime d’une injustice, ce n’est pas tant par bonté d’âme que pour saper les institutions et attaquer l’Eglise.

Mais alors même qu’il voue les juges à l’opprobre public, il n’ignore pas, comme il l’avoue en 1768, qu’ils « ont été trompés par de faux indices »(1). Quant aux Calas, il les traite de « protestants imbéciles »…

Ce grand ami de l’humanité, initié comme Benjamin Franklin à la loge des Neuf Sœurs, partage en réalité avec les autres philosophes (2) le même mépris des hommes, qu’il considère comme « des petits rouages de la grande machine », et particulièrement du peuple:

« Il est à propos que le peuple soit guidé, et non pas qu’il soit instruit, il n’est pas digne de l’être », écrit-il. (ndlr: Tout à fait d'accord ! JPPS) Encore admet-il que le commun des Français appartient à la même espèce que lui. [la suite dans Monde & Vie]

G. de Villefollet

1. Xavier Martin, Voltaire méconnu; Aspects cachés de l’humanisme des Lumières, ed. DMM, Bouère, 2006.
2. Dans son livre Historiquement correct (ed. Perrin), Jean Sévillia rapporte que Philipon de La Madeleine souhaitait que l’usage de l’écriture soit interdit aux enfants du peuple…

A paraître dans M&Vie. Pour vous abonner : Monde & Vie.

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