La Libye appliquera la charia
Mis à jour
Une Libyenne laisse éclater sa joie après avoir voté, samedi à Tripoli. Donné vainqueur, le CNT, plutôt libéral, considère la charia comme l'une des sources de la Constitution. Crédits photo : ZOHRA BENSEMRA/REUTERS
INFOGRAPHIE - La plupart des partis sont d'accord pour que la loi islamique figure dans la future Constitution.
De notre envoyé spécial à Tripoli
L'amertume perce
dans la réponse d'Othman Bensassi, le patron de l'administration du
Conseil national transitoire libyen (CNT), qui a gardé l'accent
rocailleux de ses années d'études passées à Toulouse: «La charia? Mais
il n'y aura pas de débat! Tout le monde est pour en Libye,
tous les partis y ont fait référence pendant la campagne électorale, et
tous la voteront.» Après les quarante-deux années de dictature de
Mouammar Kadhafi, la question va être officiellement posée prochainement
aux législateurs issus du scrutin du 7 juillet, auxquels il reviendra de fixer les règles de la nouvelle Constitution de la Libye démocratique.
On
peut parier que la loi islamique figurera en bonne place, peut-être
même dès le premier article de cette nouvelle Constitution. Deux jours
avant le scrutin, le président du CNT,
Moustapha Abdeljalil, a entraîné ses pairs vers un ultime vote. «Le
peuple libyen est attaché à l'islam comme religion et comme législation.
Par conséquent, le Conseil national de transition recommande (à la
prochaine Assemblée constituante) de considérer la charia comme la
principale source de la législation.» Le même Abdeljalil avait suscité
l'émoi de l'Occident quand, sitôt la libération de la Libye proclamée,
il avait tenu, le 23 octobre 2011, à déclarer: «En tant que pays
islamique, nous avons adopté la charia comme loi essentielle et toute
loi qui violera la charia sera légalement nulle et non avenue.»
Kadhafi,
qui avait érigé l'arbitraire en unique source du droit, prenait de
nombreuses libertés avec le Coran et la loi musulmane qu'il
réinterprétait selon ses humeurs fantasques. Sous son régime, la
condition féminine s'était améliorée: la polygamie disparaissait, et les
femmes étaient parvenues, certes en petit nombre, à se faire une place
dans la plupart des professions, y compris dans le métier des armes.
Enfin,
pour gérer la manne pétrolière, dont une partie importante remplissait
les poches de son clan, Mouammar Kadhafi avait préféré les critères des
établissements occidentaux plutôt que la comptabilité des banques
islamiques, toujours inexistantes à ce jour en Libye.
Les grands
partis engagés dans le scrutin législatif du 7 juillet et qui dirigeront
bientôt la Libye ont tous promis, la main sur le cœur, qu'ils ne
reviendraient pas sur ces «acquis».
Mais ils ont également rendu
des hommages appuyés à la loi islamique, afin de ne pas heurter une
population dont l'islam est beaucoup plus conservateur que celui
pratiqué dans le reste du Maghreb. La charia, «c'est une référence pour
notre Constitution et pour notre vivre ensemble», affirmait encore
récemment Mahmoud Jibril, qui passe pour un «libéral». Dans la charte de
son mouvement, qui aurait semble-t-il remporté les élections, il est
rappelé que «la charia est une des sources de la Constitution». Durant
la campagne, pour couper l'herbe coranique sous le pied des islamistes,
Mahmoud Jibril s'était habilement exclamé: «Mes voisins peuvent attester
que je me rends à la prière le vendredi»…
Risques de dérive
L'ancien
premier ministre formé aux États-Unis n'avait évidemment pas convaincu
les islamistes. Ceux-ci ne devraient pas renoncer à le faire sortir de
ce qu'ils considèrent être une «ambiguïté». Lamia Abusedra, une belle
trentenaire qui, les cheveux au vent, conduisait la liste islamiste d'El
Wattan à Benghazi, expliquait ainsi que «la prochaine assemblée doit
définir concrètement sa conception de la charia, l'assemblée doit dire
au peuple si la charia est une source, la source, la principale source,
ou l'unique source de la loi».
Ce sont dans ces détails que se
cachent les différences entre les pays arabes, et les dérives
potentielles vers des régimes islamistes attentatoires aux droits de
l'homme. Car la référence culturelle aux principes coraniques et à la
loi musulmane n'est pas, en soi, un acte de défiance à l'égard de
l'Occident. «Toutes nos actions doivent demeurer dans les limites de la
charia», affirmait Alamin Belhaj, le porte-parole des Frères musulmans
libyens durant la campagne.
À l'opposé, Mohammed Toumi, du Front
national, confiait: «La charia n'est pas une boîte à prendre ou à
laisser. Entre les principes coraniques et les objectifs, il y a la
création des lois nécessaires pour s'adapter au monde moderne.» Une
position qui n'est pas apparue publiquement durant la campagne
législative libyenne.
Jibril prône l'unité nationale
Mahmoud
Jibril, qui fut premier ministre du Conseil national de transition
(CNT) lors de la guerre civile libyenne, a souhaité la formation d'une
grande coalition gouvernementale réunissant les quelque 150 partis
politiques du pays, à quelques heures de la proclamation des résultats
des élections de samedi.
Après quatre décennies de régime
autocratique de Mouammar Kadhafi, 1,6 million d'électeurs sur
2,8 millions d'inscrits - un taux de participation de 65 % - ont voté
avec de la joie et parfois des larmes d'émotion aux premières élections
libres de l'histoire de leur pays.
Les observateurs internationaux
ont qualifié ces élections de succès, même s'ils n'ont pu se rendre
dans le sud désertique du pays toujours en proie à de violentes
rivalités tribales. «Il est remarquable que quasiment l'ensemble des
Libyens aient voté sans crainte ni intimidation», a déclaré lundi
Alexander Graf Lambsdorff, l'un des observateurs déployés par l'UE.
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