Ephéméride du 8 Septembre.
1830 : Naissance de Frédéric Mistral.
Prix Nobel de Littérature 1904.
http://www.museonarlaten.fr/museon/CG13/
Ci dessous, le Mas du Juge, sa maison natale.
C'est Lamartine qui l'a lancé, en le faisant connaître à la France entière par son Quarantième Entretien :
".....Sa physionomie, simple, modeste et douce, n'avait rien de cette tension orgueilleuse des traits ou de cette évaporation des yeux qui caractérise trop souvent ces hommes de vanité, plus que de génie, qu'on appelle les poètes populaires : ce que la nature a donné, on le possède sans prétention et sans jactance. Le jeune provençal était à l'aise dans son talent comme dans ses habits; rien ne le gênait, parce qu'il ne cherchait ni à s'enfler, ni à s'élever plus haut que nature.
La parfaite convenance, cet instinct de justesse dans toutes les conditions, qui donne aux bergers, comme aux rois, la même dignité et la même grâce d'attitude ou d'accent, gouvernait toute sa personne. Il avait la bienséance de la vérité; il plaisait, il intéressait, il émouvait; on sentait dans sa mâle beauté le fils d'une de ces belles arlésiennes, statues vivantes de la Grèce, qui palpitent dans notre Midi."
(Alphonse de Lamartine, Cours familier de littérature : un entretien par mois. Tome septième).
Léon Daudet en parle ainsi dans Souvenirs et polémiques ( Robert Laffont, collection «Bouquins», 1993, p. 36-37) :
"On l'a comparé souvent à Goethe. Il est lui-même. Ce qui frappe le plus, dans ses propos, c'est l'harmonie des plans, la perspective qu'il a dans l'esprit, comme un descendant d'aïeux qui ont longtemps contemplé le ciel étoilé et la plaine. Tel il était il y a trente ans, et plus loin encore dans mon souvenir, jugeant équitablement les hommes et les choses, célébrant son pays et poursuivant avec méthode son plan de reconstruction provinciale, dont ses amis eux-mêmes n'apercevaient peut-être pas toute l'ampleur. Il est clair, limpide comme la source, mais profond, et sa bonhomie n'exclut pas la méfiance.
À Paris, on le discutait, on harcelait mon père: “Pourquoi n'écrit-il pas en français, votre Mistral ? Relever la langue d'oc, un patois, c'est une chimère, c'est un rêve... Daudet, votre amitié vous aveugle sur l'importance de ce mouvement.” On a vu depuis qu'au contraire l’œuvre de Mistral était et est des moins chimériques, des plus utiles qui soient. Le maître de Maillane est pour la moitié dans la superbe résistance de l’Alsace-Lorraine. C'est aux armes forgées par lui, à ses méthodes, à ses principes qu'ont eu recours les mainteneurs malgré tout de l'âme héroïque de l'Alsace, de ses coutumes, de ses aspirations.
Chez lui, à Maillane, "longue vie passée au même endroit..."
Poète et le plus doué de tous, Hugo compris, sans comparaison possible, Mistral connaît en outre les secrets de la cité et ceux du verbe, les moyens d'étayer la cité par le verbe et réciproquement. C'est un sorcier, au sens étymologique du mot, un trouveur d'ondes jaillissantes. Il ne frappe pas en vain le roc stérile. Si vous voulez mon avis, Mistral est bien grand, mais l'avenir le fera plus grand encore. Dans les abris posés et chantés par lui, les nations opprimées iront, au cours des âges, chercher un refuge contre la force brutale. Dictionnaire, poèmes, drames, propagande, fêtes commémoratives, costumes, allocutions, exemple de la longue vie passée au même endroit, tombeau, tout cela se complète et défie le temps et l’oubli."
"Sount mort li béu diséire, mai li voues an clanti.
Sount mort li bastisséire, mai lou temple es basti."
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Voici la suite - et la fin - de notre évocation de Frédéric Mistral, à travers sa poésie, que nous avons décliné en trois temps. Aujourd'hui, 8 septembre, date anniversaire de sa naissance, nous achevons la lecture commencée le 29 février (attribution du Prix Nobel de littérature), et poursuivie le 25 mars, jour anniversaire de sa mort. Et nous évoquons cette poésie au moyen de deux poèmes (ou extraits) à chaque fois, soit au total six textes majeurs, qui permettent de se faire une première idée du fond de ses inspirations.
Le 29 février, nous avons lu un poème que l'on qualifiera de chrétien, tant est forte et sous-jacente partout chez Mistral cette source d'inspiration : La coumunioun di sant (La communion des saints) de 1858. Puis l'enracinement dans l'Histoire provençale et dans cette Provence charnelle, à travers ses paysages et ses villes. L'amour profond pour sa terre transparaît évidemment lui aussi partout chez Mistral: "...Se quauque rèi, pèr escasènço..." (Si Clémence était reine..., Mireille, Chant II)
Le 25 mars, nous avons lu un extrait d'un poème de combat, pourrait-on dire : I troubaire catalan (Aux troubadours catalans, partie I) de 1861. Puis, un poème peut-être un peu plus politique : A la raço latino (Ode à la race latine) de 1878.
Enfin, aujourd'hui - 8 septembre - nous allons voir le Mistral virgilien et homérique, paysan au sens fort et grand du terme, de l'invocation de Miréio (Mireille). Et, pour finir, l'invocation épique et historique de Calendau (Calendal).
Il est très dommage que le logiciel de Hautetfort, l'hébergeur de ce blog, ne permette pas de mettre en paralèlle la traduction française, à droite du texte provençal. Vous devrez donc vous reporter à la fin du poème pour en connaître le sens, si vous ne connaissez pas le provençal; c'est très incommode, et nous vous prions de nous en excuser, mais nous n'y pouvons rien....
Aujourd'hui, donc, 8 septembre, troisième et dernière partie de l'évocation (précédents, le 29 février et le 25 mars).
Canto uno chato de Prouvènço. / Dins lis amour de sa jouvènço, / A travès de la Crau, vers la mar, dins li blà, / Umble escoulan dou grand Oumèro, / Iéu la vole segui. Coumo èro / Rén qu'uno chato de la terro, / En foro de la Crau se n'es gaire parla.
Emai soun front noun lusiguèsse / Que de jouinesso, emai n'aguèsse / Ni diadèmo d'or ni mantèu de Damas, / Vole qu'en glori fugue aussado / Coumo uno rèino, e caressado / Pèr nosto lengo mespresado, / Car cantan que pèr vautre, o pastre e gènt di mas.
Tu, Segnour Diéu de ma patrio, / Que nasquères dins la pastriho, / Enfioco mi paraulo e douno-me d'alen ! / Lou sabes : entre la verduro, / Au soulèu em'i bagnaduro, / Quand li figo se fan maduro, / Vèn l'ome aloubati desfrucha l'aubre en plen.
Mai sus l'aubre qu'èu espalanco, / Tu toujour quihes quauco branco / Ounte l'ome abrama noun posque aussa la man, / Bello jitello proumerienco, / E redoulènto, e vierginenco, / Bello frucho madalenenco / Ounte l'aucèu de l'èr se vèn leva la fam.
Iéu la vese, aquelo branqueto, / E sa frescour me fai ligueto ! / Iéu vese, i ventoulet, boulega dins lou cèu / Sa ramo e sa frucho immourtalo... / Bèu Dièu, Dièu ami, sus lis alo / De nosto lengo prouvençalo, / Fai que posque avera la branco dis aucèu !
Proposition de transcription en français:
Je chante une fille de Provence. / Dans les amours de sa jeunesse, / A travers la Crau, vers la mer, dan les blés, / Humble écolier du grand Homère, / Je veux la suivre. Comme c'était / Seulement une fille de la glèbe, / En dehors de la Crau il s'en est peu parlé.
Bien que son front ne resplendît / Que de jeunesse, bien qu'elle n'eût / Ni diadème d'or ni manteau de Damas, / Je veux qu'en gloir elle soit élevée / Comme une reine, et caressée / Par notre langue méprisée, / Car nous ne chantons que pour vous, ô pâtres et habitants des mas.
Toi, Seigneur Dieu de ma patrie, / Qui naquis parmi les pâtres, / Enflamme mes paroles et donne-moi du souffle ! / Tu le sais : parmi la verdure, / Au soleil et aux rosées, / Quand les figues deviennent mûres, / Vient l'homme, avide comme un loup, dépouiller l'arbre entièrement.
Mais sur l'arbre dont il brise les rameaux, / Toi, toujours, tu élèves quelque branche / Où l'homme insatiable ne puisse porter la main, / Belle pousse hâtive, / Et odorante, et virginale, / Beau fruit mûr à la Madeleine, / Où vient l'oiseau de l'air apaiser sa faim.
Moi, je la vois, cette branchette, / Et sa fraîcheur me fait envie ! / Je vois, au souffle des brises, s'agiter dans le ciel / Son feuillage et ses fruits immortels... / Beau Dieu, Dieu ami, sur les ailes / De notre langue provençale, / Fais que je puisse atteindre la branche des oiseaux !
VI : Epique et historique, l'Invocation de Calendau, simple pêcheur de Cassis. Ci dessous, le Cap Canaille, vu des hauteurs de Cassis, puis Cassis vu du sommet du Cap Canaille.
Iéu, d'uno chato enamourado / Aro qu'ai di la mau-parado, / Cantarai, se Dièu vou, un enfant de Cassis, / Un simple pescaire d'anchoio / Qu'emé soun gàubi e'mé sa voio / Dou pur amour gagnè li joio, / L'empèri, lou trelus. - Amo de moun païs,
Tu que dardaies, manifesto, / E dins sa lengo e dins sa gèsto; / Quand li baroun picard, alemand, bourguignoun, / Sarravon Toulouso e Bèu-Caire, / Tu qu'empurères de tout caire / Contro li nègri cavaucaire / Lis ome de Marsiho e li fiéu d'Avignoun;
Pèr la grandour di remembranço / Tu que nous sauves l'esperanço; / Tu que dins la jouinesso, e plus caud e plus bèu, / Mau-grat la mort e l'aclapaire, / Fas regreia lou sang di paire; / Tu qu'ispirant li dous troubaire, / Fas pièi mistralejà la voues de Mirabèu;
Car lis oundado seculàri / E si tempèsto e sis esglàri / An bèu mescla li pople, escafa li counfin, / La terro maire, la Naturo, / Nourris toujour sa pourtaduro / Dou meme la : sa pousso duro / Toujour à l'oulivié dounara l'oli fin;
Amo de-longo renadivo, / Amo jouiouso e fièro e vivo, / Qu'endihes dins lou brut dou Rose e dou Rousau ! / Amo di sèuvo armouniouso / E di calanco souleiouso, / De la patrio amo piouso, / T'apelle ! encarno-te dins mi vers prouvencau !
Proposition de transcription en français:
Moi qui d'une amoureuse jeune fille / Ai dit maintenant l'infortune, / Je chanterai, si Dieu veut, un enfant de Cassis, / Un simple pêcheur d'anchois / Qui, par la grâce et par la volonté, / Du pur amour conquit les joies, / L'empire, la splendeur. - Âme de mon pays,
Toi qui rayonnes, manifeste, / Dans son histoire et dans sa langue; / Quand les barons picards, allemands, bourguignons, / Pressaient Toulouse et beaucaire, / Toi qui enflammas de partout / Contre les noirs chevaucheurs / Les hommes de Marseille et les fils d'Avignon.
Par la grandeur des souvenirs, / Toi qui sauves notre espérance; / Toi qui, dans la jeunesse, et plus chaud et plus beau, / Malgré la mort et le fossoyeur, / Fais reverdir le sang des pères; / Toi qui, inspirant les doux Troubadours, / Telle que le mistral, fais ensuite gronder la voix de Mirabeau.
Car les houles des siècles, / Et leurs tempêtes, et leurs horreurs, / En vain mêlent les peuples, effacent les frontières : / La terre maternelle, la Nature, / Nourrit toujours ses fils / Du même lait; sa dure mamelle / Toujours à l'olivier donnera l'huile fine.
Ame éternellement renaissante, / Ame joyeuse, et fière, et vive, / Qui hennit dans le bruit du Rhône et de son vent ! / Ame des bois pleins d'harmonie / Et des calanques pleines de soleil, / De la patrie âme pieuse : Je t'appelle ! / Incarne-toi dans mes vers provençaux !
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