mardi 9 août 2011

Les armées des ducs de Bourgogne

L'apparition d'un "État bourguignon" ne se manifesta pas seulement par le développement d'institutions judiciaires, financières et administratives, par l'essor d'une société politique et l'élaboration d'une idéologie, mais aussi par l'existence d'une force armée et d'une société militaire dévouées au prince et à la "chose publique".

bourgogne,armée,chevalierA la base de la puissance bourguignonne, on trouve une noblesse d'armes qui fournissait au duc les cadres de ses armées. Le commandement en chef était exercé, le cas échéant, par le duc lui-même, y compris sur le champ de bataille : ainsi Jean sans Peur à Othée en 1408, Philippe le Bon à Mons-en-Vimeu en 1421, à Gavre, en 1453, et Charles le Téméraire, qui paya tant de sa personne qu'il finit par mourir au combat à Nancy le 5 janvier 1477. Les chefs et capitaines des armées ducales étaient désignés par le prince et, au sein de ce groupe, le maréchal de Bourgogne était le détenteur d'un des rares offices militaires permanents. Ce maréchal de Bourgogne, toujours choisi au sein de la haute noblesse des deux Bourgognes, était nommé et révoqué librement par le duc, ce qui le distinguait des autres maréchaux des principautés bourguignonnes, maréchal de Brabant, maréchal de Hainaut, maréchal de Flandre, maréchal de Luxembourg, dont la dignité était héréditaire et la charge purement honorifique. Il était chef de l'armée lorsque le prince était absent et commandant de l'avant-garde lorsqu'il était présent. Sur le plan administratif, il était en principe responsable du contrôle des effectifs et de l'état des troupes lors des "montres d'armes" et des revues. Fait important, la compétence et l'autorité du maréchal de Bourgogne n'étaient pas limitées aux troupes levées dans les deux Bourgognes, mais s'étendaient à l'ensemble des gens de guerre servant le duc.


L'échelon supérieur de l'encadrement des armées ducales était majoritairement aristocratique. Quelques exemples tirés de sources comptables le montrent clairement : ainsi, en août 1417, durant la guerre civile, l'armée que Jean sans Peur conduisit vers Paris était commandée par 32 capitaines dont 20 étaient des chevaliers bannerets et 2 des écuyers bannerets — appartenant donc au niveau supérieur de la hiérarchie nobiliaire —, 5 étaient des chevaliers bacheliers et 5 de simples écuyers. De la même façon, les troupes réunies par le duc pour le siège de Compiègne en avril-mai 1430 étaient sous les ordres de 17 capitaines dont 9 chevaliers bannerets, 1 écuyer banneret, 4 chevaliers bacheliers, 3 écuyers simples.

Les sources littéraires, tout comme les sources comptables, donnent, elles aussi, l'impression d'un encadrement militaire recruté essentiellement au sein de la haute noblesse : le chroniqueur Georges Chastelain, citant les principaux capitaines de l'armée de Philippe le Bon faisant campagne contre les Gantois en 1452, mentionne ainsi successivement des membres de la famille ducale, tels Jean de Bourgogne, comte d’Étampes, Adolphe de Clèves, seigneur de Ravenstein, et Corneille, bâtard de Bourgogne, des représentants des plus grands lignages des principautés septentrionales, tels Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, et son frère Jacques de Luxembourg, seigneur de Fiennes, Antoine„ seigneur de Croy, Jean de Croy, Jacques de Lalaing, Jean, seigneur de Lannoy, Jean de Homes, seigneur de Bancignies, Jean, seigneur de Créquy, des nobles de Bourgogne, tels Antoine et Guillaume de Vaudrey. Aux côtés de ces personnages de haut rang, seul François de Surienne, dit l'Aragonais, un capitaine d'aventure, était un homme de « bas état », promu pour ses seules qualités professionnelles.

Avec ses capitaines, le prince entretenait des relations souvent établies sur une base contractuelle. Révélatrices en cela sont les conditions posées, dans un mémoire présenté en octobre 1426 au conseil ducal, par Jean de Villiers, seigneur de l'Isle-Adam, avant d'accepter, dans un contexte de guerre ouverte, la charge de gouverneur de Hollande : un effectif de 2.000 combattants, toute l'artillerie disponible, l'assurance d'un paiement régulier des soldes "de mois en mois", la garantie écrite qu'en cas de difficultés une armée de secours lui serait aussitôt dépêchée. Naturellement, l'aspect contractuel impliquait aussi des liens personnels étroits renforcés par l'intégration des chefs de guerre à l'hôtel ducal — le seigneur de l'Isle-Adam était chambellan du duc — et à partir de 1430, pour les plus prestigieux d'entre eux, à l'ordre de la Toison d'or.

LA COMPOSITION ET LE RECRUTEMENT

Sur le plan de la composition et du recrutement des armées ducales, la base du système resta le jeu des obligations féodales et du service militaire des nobles. Dans toutes les principautés qu'ils réunirent sous leur main, les ducs de Bourgogne Valois trouvèrent en place un type d'organisation impliquant un service d'armes dû par les détenteurs de fiefs et même d'arrière-fiefs. En règle générale, et suivant les usages du droit féodal, le service des fieffés étaient un service gratuit, d'une durée variant souvent d'un mois à quarante jours, s'il était effectué dans le cadre de la principauté d'origine. En dehors de ce cas, d'ailleurs en fait rarement attesté, le service d'armes était dûment soldé, selon un système 11 de gages journaliers. C'est dire qu'en réalité les vassaux et arrière-vassaux du duc qui servaient dans ses armées étaient payés.

La permanence du recours au système féodal comme base de recrutement de l'armée se lit dans la documentation. Lorsqu'il levait son "ost", le duc faisait convoquer, par lettres individuelles pour les plus importants, et par cri public pour les autres, ses "vassaux et arrière-vassaux" et "tous ceux qui tiennent de lui en fief et arrière-fief". Sont visés au premier chef les membres de la noblesse d'armes, "chevaliers et écuyers qui doivent amener gens", mais aussi, signe de l'évolution de la société militaire aux XIVe et XVe siècles, "tous ceux qui ont coutume de porter les armes".

La semonce des nobles procurait aux ducs de Bourgogne des combattants dévoués, prêts à le servir aussi souvent qu'il l'exigeait. Un personnage comme l'écuyer Jean Ryolet, petit noble du duché de Bourgogne qui, en 1455, à l'âge de 44 ans environ, énumérait ses états de service à l'occasion d'un procès, précisait qu'il avait servi le duc en armes pour la première fois, alors qu'il avait 18 ans, "en une certaine armée qui fut faite contre la Pucelle", en 1429, puis sur les frontières de Bourgogne, en 1430 et 1431. Au cours de ces années, en outre, il avait combattu en Dauphiné et participé à la bataille d'Anthon contre les gens de Charles VII, puis en Lorraine où il avait pris part à la bataille de Bulgnéville contre René d'Anjou. Il avait de nouveau servi contre les Français en Bourgogne de 1433 à 1435, puis avait figuré dans les armées levées entre 1436 et 1445 contre les bandes de gens de guerre incontrôlées qui ravageaient le pays, qu'on appelait les "Écorcheurs". Il avait pris part à la conquête du duché de Luxembourg en 1443 et s'était illustré lors de la prise de la ville de Luxembourg, en faisant partie du petit groupe de combattants qui, de nuit, avait emporté la place à l'escalade. En 1455, cet écuyer se déclarait encore prêt à participer à l'expédition contre les Turcs que le duc désirait entreprendre.

Naturellement, les nobles sujets du duc, fieffés ou non, n'étaient pas les seuls combattants formant les armées ducales ; des volontaires y figuraient aussi, engagés en vertu d'un contrat. Ce contrat pouvait être tacite, mais donnait éventuellement lieu à l'établissement d'un acte écrit — cet usage est attesté en Bourgogne dès la fin du XIIIe siècle. On conserve, par exemple, le texte du contrat qu'en juin 1431 le chancelier Nicolas Rolin passa avec François de La Palu, seigneur de Varambon ; ce personnage, sujet du duc de Savoie, n'était lié au duc de Bourgogne par aucun lien de type féodal. Dans le contrat en question étaient précisés les effectifs que le seigneur de Varambon devait avoir en sa compagnie, le montant du paiement qu'il devait recevoir, la durée de son service, les théâtres d'opérations et même la nature des actions de guerre auxquelles il devait participer avec sa compagnie.

Tout comme les volontaires, souvent originaires (à l'instar du seigneur de Varambon) des principautés alliées, les mercenaires, recrutés pour leurs qualités professionnelles, étaient engagés par contrat. C'est par exemple le cas des Italiens. L'engagement de gens de guerre originaires d'outre-monts par les ducs de Bourgogne est attesté dès le milieu du XIVe siècle. Tout comme le roi de France, les ducs recrutèrent des arbalétriers génois pour servir contre les Anglais. Malgré leur "contre-performance" de Crécy, ces combattants conservèrent en effet une bonne réputation et continuèrent à être employés jusque dans les premières décennies du XVe siècle. On trouve aussi, à partir des années 1350-1360, des combattants italiens servant à cheval ou à pied et appelés "brigands" — un terme qui passa dans le langage courant et qui laisse deviner quel pouvait être le comportement habituel de ces gens de guerre. A partir du début du XVe siècle, on voit des capitaines "lombards", originaires du Milanais, servir également avec des compagnies d'hommes d'armes et d'hommes de trait, archers et arbalétriers. Aux côtés des Italiens, on trouvait des Savoyards, et périodiquement aussi des Anglais.

Quelle part ces troupes mercenaires représentaient-elles dans les armées ducales et, plus largement, quel était le recrutement géographique de ces armées ? Nous pouvons en avoir une idée précise pour les années 1405-1417, qui couvrent à peu près la totalité du principat de Jean sans Peur : pour cette période, les troupes levées en Picardie et Artois représentaient 39,1% du total, les troupes levées dans les deux Bourgognes, 29,2%, les troupes levées dans le comté de Flandre, 6,4%, soit au total 74,7% pour les troupes levées dans les principautés bourguignonnes. Les troupes étrangères, recrutées en Bretagne, Savoie, Lorraine, Italie et autres, représentaient 25,3%, soit un peu plus d'un quart du total.

Parallèlement aux capitaines mercenaires engagés par contrat avec leurs compagnies, certains étrangers étaient recrutés individuellement en raison d'une qualification professionnelle particulière. Ainsi en alla-t-il, sans doute, de Scaque de Milan, dit Lombardon, qui en 1420 fut récompensé par le duc Philippe le Bon pour avoir fait "plusieurs ouvrages et fortifications" pour porter dommage aux ennemis du duc assiégés dans la ville de Melun. De même, pour Johannes de Gagen, homme de guerre allemand, appelé aussi Johannes l'Échelleur, spécialiste de "l'échellement" des places fortes, retenu au service du duc en juillet 1442 à la pension de 120 francs par an. C'est ce personnage qui mena l'opération contre Luxembourg en 1443.

Que savons-nous de la composition de ces armées ? Des années 1360 aux années 1460, les documents comptables font apparaître une hiérarchie socio-militaire traditionnelle, qui correspondait aussi à une hiérarchie des gages qui resta en vigueur jusqu'aux grandes réformes de Charles le Téméraire : le chevalier banneret percevait quatre payes, soit le plus souvent 60 francs par mois, le chevalier bachelier deux payes — 30 francs par mois —, l'homme d'armes une paye — 15 francs par mois —, l'homme de trait, archer ou arbalétrier, une demi-paye — 7 francs 10 sous par mois. En ce qui concerne la hiérarchie socio- militaire que nous avons mentionnée, il convient de souligner que si les représentants de la haute noblesse et de l'élite chevaleresque tenaient une place importante à l'échelon du commandement, leur part ne cessait de décroître dans l'ensemble de la société militaire bourguignonne. Quelques chiffres illustrent ce phénomène : rapporté à l'effectif des hommes d'armes servant dans les armées bourguignonnes, le groupe des chevaliers bannerets et bacheliers représentait environ 19% en 1372. Dix ans plus tard, en 1382, il ne représentait plus que 13%. Ce pourcentage tomba à 7,2% en 1405, et ne dépassa plus guère les 3 à 5% après 1417. Ces chiffres traduisaient deux réalités qui n'étaient pas propres aux principautés bourguignonnes mais s'observaient aussi en France et en Angleterre : d'une part un désintérêt d'une large partie des nobles pour l'adoubement et d'autre part un recrutement social des armées de plus en plus hétérogène.

Parallèlement, la part des gens de trait, archers et arbalétriers, dans la composition des troupes alla croissant. En 1382, lors de la bataille de Roosebeke, les troupes du duc Philippe le Hardi comptaient 12% d'archers. Cette proportion augmenta considérablement sous le principat de Jean sans Peur, passant de plus de 27% en 1405 à plus de 40% en 1417. Le phénomène ne fit que s'accentuer sous Philippe le Bon et, entre 1430 et 1436, les gens de trait représentaient environ 70% de l'ensemble des gens de guerre dans les armées ducales, soit plus de trois combattants de ce type pour un homme d'armes. Cette caractéristique reflétait l'influence anglaise qui, depuis le début du XVe siècle, s'exerçait sur l'organisation militaire bourguignonne : à partir de 1420, en particulier, l'existence d'une alliance militaire anglo-bourguignonne et une certaine confraternité d'armes semble avoir accéléré l'évolution jusqu'à faire atteindre parfois aux effectifs d'hommes de trait bourguignons une proportion comparable à ce qu'elle était dans les armées anglaises.

Les contingents urbains ne furent intégrés massivement aux armées ducales qu'à quelques occasions. Jean sans Peur utilisa les services des milices flamandes en France en 1411 et Philippe le Bon l'imita lors de sa malheureuse tentative pour assiéger Calais en 1436-37. Par ailleurs, les contingents des villes hollandaises et zélandaises prêtèrent leur concours aux entreprises militaires du duc à diverses reprises, notamment lors des guerres de 1426-1428. S'ils ne recouraient pas fréquemment à des levées générales, les ducs de Bourgogne ne négligeaient pas, cependant, de solliciter des villes le service de contingents de combattants peu nombreux mais bien armés et bien équipés et la fourniture de pièces d'artillerie à poudre ou même d'engins à trébuchet. Ainsi, dans un document prévisionnel de 1422, il est précisé que, pour les guerres du duc, la ville de Malines devait fournir 10 arbalétriers et "un engin nommé coullart, jetant un projectile pesant 300 livres, un maître pour le gouverner et deux charpentiers".

L'utilisation de ces engins ne saurait occulter la place croissante tenue dans les arsenaux ducaux par l'artillerie à poudre. Dans ce domaine, une double évolution s'est dessinée. En premier lieu, dans le parc d'artillerie bourguignon, le nombre de bouches à feu s'est accru de façon importante. En 1366, Philippe le Hardi fit acheter 2 canons et 4 livres de poudre pour l'ensemble des forteresses de son duché de Bourgogne. Entre 1376 et 1378, il fit fabriquer 10 canons et bombardes à Chalon-sur-Saône. Puis, en 1384, dans l'héritage de son beau-père Louis de Male, il trouva une artillerie importante stockée dans les châteaux de Flandre et d'Artois : 83 canons et plus de 360 livres de poudre pour le seul comté d'Artois, d'après les inventaires établis à ce moment. En 1406, Jean sans Peur, préparant une expédition contre Calais, put faire concentrer à Saint-Omer 120 canons et 10.000 livres de poudre. Trente ans plus tard, en 1436, pour s'attaquer à Calais, lui aussi, Philippe le Bon réunit au moins 575 canons de toutes tailles pour l'armée de terre et plus de 80 pièces pour "l'armée de la mer". Dix ans plus tard, Philibert de Vaudrey, maître de l'artillerie ducale, récapitulant les pièces d'artillerie acquises d'octobre 1442 à avril 1446, énumérait : 320 pièces, soit 9 bombardes, 23 veuglaires, 175 crapeaudeaux et 113 couleuvrines. Cette énumération révélait l'autre tendance de l'évolution : la diversification des types de pièces.

Jean sans Peur, et Philippe le Bon après lui, dotèrent leur parc d'artillerie de bombardes colossales : en 1409, la "bombarde d'Auxonne" pesait 8 tonnes. Quarante ans plus tard, les célèbres Mons Meg et Dulie Griet pesaient respectivement 7,5 et 16,5 tonnes. Ces monstres exigeaient des moyens de transport exceptionnels : ainsi les bombardes Bergère, Prusse et Bourgogne "charroyées" jusqu'à Calais en 1436 nécessitèrent pour la première un chariot attelé de 18 chevaux, pour la seconde un chariot avec 30 chevaux, et pour la troisième deux chariots, l'un portant la volée tiré par 48 chevaux, et l'autre la chambre tiré par 36 chevaux. A côté de ces canons énormes, les bombardelles, veuglaires et crapeaudeaux, apparues dans les années 1420-1430, étaient des pièces dont le poids variait de 5 tonnes à moins d'une tonne et demie. Quant aux couleuvrines, qui étaient généralement des canons de campagne sur affût mobile, elles pouvaient être employées, pour les spécimens les plus petits, comme artillerie à main. Les armées bourguignonnes comptèrent du reste dans leurs rangs des compagnies de couleuvriniers à partir des années 1460.

Le développement quantitatif d'une artillerie à poudre de plus en plus élaborée a déterminé la constitution d'un personnel dont le nombre n'a cessé de s'accroître. Les ducs ont recruté des spécialistes, souvent étrangers à leurs principautés : ainsi, sous Philippe le Hardi les canonniers Roland et Jacques de Majorque, Colart Joseph de Dinant, Jean de Sombreffe ; ils n'ont pas hésité à payer un haut prix pour les attacher à leur service : ainsi en est-il de l'Allemand Hans de Lukenbach, mentionné comme "canonnier" et "bombardier", à qui, en 1454, Philippe le Bon fit assigner une pension de 200 francs par an pour son office.

A la tête de l'artillerie se trouvait un "garde et maître de l'artillerie". Le premier titulaire de cet office fut Germain de Givry, en fonction de 1414 à 1431 ; mentionné en début de carrière comme fourrier du comte de Charolais, puis huissier d'armes du duc, il se para bientôt du titre d'écuyer et se réputa donc noble. Après lui, un écuyer comtois, Jean de Rochefort, assuma la fonction de maître de l'artillerie de 1431 à 1442. Ensuite, signe incontestable du prestige grandissant de la fonction, le duc confia cette charge à son conseiller et chambellan, l'écuyer Philibert de Vaudrey (1442-1455), avec une pension de 100 francs par an. Après lui la charge échut à un chevalier, et homme de guerre professionnel, François de Surienne (1455-1465). Vinrent ensuite Waleran de Soissons, seigneur de Moreuil, chevalier, conseiller et chambellan du duc, en charge en 1465-1466, Jacques d'Orsans, lui aussi chevalier, conseiller et chambellan du duc (1467-1472), puis Gauvain de Bailleul (1473-1476).

LES RÉFORMES AU TEMPS DE CHARLES LE TÉMÉRAIRE

Jusqu'à l'orée des années 1460 l'organisation militaire bourguignonne ne subit pas de grandes réformes. Ce fait s'explique sans doute parce que l'instrument était efficace et permit pratiquement toujours au prince d'atteindre ses objectifs politiques. Certes, le système avait ses limites : le service des fiefs avait un rendement aléatoire et sa mise en œuvre était lourde ; l'engagement de capitaines par contrat n'était que temporaire et, d'une manière générale, l'armée ne constituait pas une force permanente : à l'exception des archers de corps du duc et de quelques garnisons de places fortes, les gens de guerre étaient engagés et cassés, c'est-à-dire licenciés, au gré des circonstances.

Charles le Téméraire, lorsqu'il prit en ses mains les rênes du pouvoir, en 1465, alors qu'il n'était encore que comte de Charolais, utilisa cet instrument militaire pour affronter, dans la guerre du Bien Public, un ennemi redoutable : le roi de France Louis XI qui disposait d'une armée permanente. En effet, depuis les réformes militaires de Charles VII, en 1445, la meilleure partie de l'armée royale était constituée de compagnies d'ordonnance sous les armes en temps de paix comme en temps de guerre. Malgré cette différence de structure, l'affrontement des Bourguignons et des Français à Montlhéry, en juillet 1465, ne tourna pas à l'avantage marqué des compagnies d'ordonnance du roi de France. Un chroniqueur bourguignon anonyme, auteur du Livre des trahisons de France, n'hésita pas à affirmer que, malgré le résultat plutôt confus de la bataille, la rencontre pouvait être considérée comme une victoire bourguignonne :

"Il n'est point su ni trouvé que depuis grand temps telle chose soit advenue, qu'un jeune prince, qui peu ou rien n'avait vu, se soit si vertueusement et chevalereusement maintenu, car premièrement il eut la constance et la sûreté d'attendre. Qui ? Le plus noble et le plus puissant roi de tous les rois chrétiens. Comment ? Fourni et accompagné de toute la gendarmerie du royaume de France, et non pas peu instruits de la guerre, mais gens aguerris et expérimentés tout le temps de leur vie, non en pays étranger, mais au milieu de son noble royaume, c'est à savoir en Parisis, accompagné de toutes ses ordonnances, qui étaient en somme 2 200 lances, sans le reste de sa chevalerie. Non pas seulement attendre, mais assaillir et, qui plus fort est, vaincre et chasser du champ, lui qui n'avait que vassaux empruntés à son seigneur et père, en petit nombre, non comparables aux autres."

Quoi qu'il en soit, Charles de Bourgogne n'entendait pas conserver les structures militaires telles qu'il les avaient héritées de ses prédécesseurs. Deux raisons, sans doute, le poussaient à envisager de grandes réformes : en premier lieu, dans sa lutte contre le roi de France, entre 1465 et 1470, il avait compris que l'un des atouts de son adversaire était de disposer d'une armée permanente ; en 1470, n'affirmait-il pas : "Le roi de France qui est si muable et si inconstant que nul ne sait ce qu'il a en propos et comment bonnement l'on se gardera de lui, car il a toujours ses gens d'armes prêts" ; en second lieu, la réforme de l'institution militaire était aussi destinée à s'intégrer dans le cadre d'une vaste réforme de l'État, et il me paraît dangereusement réducteur d'isoler les grandes ordonnances militaires des années 1470 des réformes financières, judiciaires et administratives qui leur sont exactement contemporaines.

Quelles furent donc les réformes lancées par Charles le Téméraire dans le domaine militaire ? Pour simplifier, disons qu'elles concernèrent, d'une part, le service des fiefs et, d'autre part, la mise sur pied progressive d'une armée permanente. Dès le début de son principat, le duc Charles voulut contraindre tous ceux qui lui devaient, à un titre quelconque, le service d'armes, à s'en acquitter. En 1468, le duc ordonnait à son maréchal de mobiliser dans les deux Bourgognes pour le servir en sa guerre de Liège, "tous ceux, nobles ou bourgeois, qui tiennent fief, arrière-fief, franc alleu ou qui veulent vivre noblement". L'année suivante, par un mandement donné le 13 octobre à La Haye, il ordonna aux baillis de ses pays de Bourgogne de l'informer de l'état des féaux et vassaux qui pouvaient servir personnellement et de ceux qui, par minorité, faiblesse, vieillesse, accident ou maladie ne pouvaient le faire. Cela donna lieu à un véritable compte rendu sur l'état physique des fieffés de Bourgogne qui furent rangés en cinq catégories :

1°) les hommes "forts et vites" ou "forts et adroits",

2°) les hommes de "bonne stature", de "bonne façon" ou de "bonne corpulence",

3°) les hommes de "moyenne stature",

4°) les hommes de "petite corpulence",

5°) les hommes "débiles" et "âgés".

Vint ensuite une législation de portée générale, qui visait à assurer de façon uniforme, sur la base des revenus des fiefs, l'équipement et la fourniture de combattants par les fieffés et les arrière-fieffés de l'ensemble des principautés bourguignonnes. On conserve deux ordonnances ducales touchant cette question, l'une de décembre 1470, l'autre de janvier 1475. Le premier de ces deux textes prévoyait le système suivant : pour un fief d'un revenu annuel net de 360 livres de 40 gros de Flandre, le duc exigeait la fourniture d'un homme d'armes à 3 chevaux et de 6 archers à pied ou 6 arbalétriers, ou 6 piquenaires — l'homme d'armes à trois chevaux était accompagné d'un "coutillier" et d'un page (le coutillier était un combattant monté moins lourdement armé que l'homme d'armes) ; pour un fief d'un revenu net annuel de 240 livres, un homme d'armes à trois chevaux sans archers ; pour un fief d'un revenu de 20 livres, un archer à pied, un arbalétrier ou un piquenaire. Les autres fiefs devaient être combinés par groupes de deux, trois, quatre ou cinq pour atteindre l'une des valeurs de référence citées. L'autre ordonnance, dont nous possédons une version pour le duché de Brabant et une pour le comté de Namur, prévoyait un système comparable. L'objectif de cette législation était non seulement de normaliser le service des fiefs, mais aussi d'améliorer la capacité et la rapidité de mobilisation des troupes. Du reste, ces ordonnances concernant le service des fiefs accompagnaient une législation visant à mettre en place, parallèlement à l'armée féodale, une armée permanente.

La première étape vers l'armée permanente fut l'institution de ce que nos sources appellent les « gages ménagers ». Il s'agissait de gages d'un montant inférieur aux gages de guerre, versés aux combattants qui devaient se tenir prêts, en leur domicile (en leur "ménage"), à répondre sans délai à la convocation du prince. Ce système des gages ménagers était mis en place dans le cas de l'imminence d'un conflit. Il apparut dans les années 1460. Par la suite, dans le cours des années 1470, le duc Charles s'engagea dans une entreprise nouvelle de réforme de l'instrument militaire : il promulgua trois ordonnances, la première donnée à Abbeville au mois de juillet 1471, la seconde donnée à Bohain-en-Vermandois, en novembre 1472, la troisième donnée à l'abbaye de Saint-Maximin de Trèves en octobre 1473, trois grands textes auxquels il conviendrait encore d'ajouter l'ordonnance donnée près de Lausanne au mois de mai 1476, c'est-à-dire chronologiquement entre les deux grandes défaites de Grandson — 2 mars — et de Morat — 22 juin — et qui fut comme une ultime tentative de réforme de l'armée. L'esprit de cette législation, qui donna naissance à une armée permanente constituée de compagnies d'ordonnance, est résumé, par exemple, dans le préambule de l'ordonnance de 1473 :

"Pour ce que très haut, très excellent et très puissant prince, notre très redouté et souverain seigneur, monseigneur le duc de Bourgogne et de Brabant, etc., ayant regard et singulier zèle et désir de la tuicion, garde, défense et accroissement de ses duchés, comtés, principautés, pays, seigneuries et sujets, par divine bonté et succession naturelle de ses très nobles progéniteurs, soumis à son régime, gouvernement et seigneurie, à l'encontre des ennemis et envieux de sa très noble Maison de Bourgogne qui, tant par puissance d'armes que par excogite malice, se sont efforcés de déprimer la haute prééminence, union et intégrité d'icelle sa très noble Maison et des dites principautés, pays et seigneuries, a, depuis certain temps en ça, mis sus, ordonné et établi les compagnies de ses ordonnances d'hommes d'armes et gens de trait, tant à pied qu'à cheval, lesquelles, à l'exemple de toutes autres sociétés humaines, ne peuvent être permanentes, en obéissance, union et vertueuse opération sans loi, tant pour leur instruction du devoir de leurs états et vocations, que pour la promotion de leurs loyaux et vertueux faits, punition et correction de leurs vices et défauts, icelui notre très redouté et souverain seigneur, par bonne, grande et mûre délibération a fait et établi les lois, statuts et ordonnances qui s'ensuivent [...]".

Sur le modèle français, les "compagnies d'ordonnance" de l'armée bourguignonne comptaient 100 "lances" chacune. La lance était une unité comptable représentant un groupe de combattants. La "lance garnie" se composait de 9 combattants : 1 homme d'armes, 1 page ou valet d'armes, 1 coutillier, 3 archers ou arbalétriers à cheval, 1 piquenaire à pied, 1 arbalétrier à pied, 1 couleuvrinier à pied. A l'origine, en 1471, le duc de Bourgogne avait créé 12 compagnies. Ce chiffre passa ensuite à 20 puis à 22 en 1474 ; ces compagnies étaient numérotées, ce qui dénote un souci de précision, de clarté et de rationalisation. En 1474, il y avait donc 2.200 lances de l'ordonnance, soit, à 9 combattants pour une lance, un total de 19.800 combattants ; les hommes d'armes et leurs auxiliaires représentant un tiers du total, les hommes de trait montés un tiers, les fantassins un tiers — le développement de la place de l'infanterie était naturellement l'un des faits importants liés à la réforme. En vertu des ordonnances de 1471 et 1472, une compagnie était divisée, selon le modèle français, en 10 dizaines ayant à leur tête, chacune, un dizainier. L'ordonnance de Saint-Maximin-de-Trèves de l'automne 1473 compléta et améliora cette organisation ; dès lors la compagnie fut subdivisée en escadres et en chambres, une compagnie de 100 lances comptait en principe 4 escadres de 25 lances, chaque escadre étant elle-même subdivisée en 5 chambres de 5 lances. A chacune de ces subdivisions correspondait un échelon des structures hiérarchiques : en premier lieu venait le "conducteur" dont le nom dérivait très probablement du terme italien "condottiere" ; en second lieu venaient les chefs d'escadre ; enfin les chefs de chambre. L'existence de cette structure hiérarchique très perfectionnée montrait un souci d'efficacité et une volonté de renforcer la cohésion de l'ensemble.

Les conducteurs étaient nommés pour un an. Le duc les choisissait en fonction de leurs qualités militaires — ils devaient être "gens experts, idoines et suffisants" — et de leur loyauté envers la Maison de Bourgogne. Leur nomination se faisait par lettres patentes et donnait lieu à une cérémonie au cours de laquelle ils prêtaient serment et étaient investis par le duc ou son représentant qui leur remettait un bâton de commandement et le texte de l'ordonnance militaire en vigueur. L'armée permanente du duc Charles avait un encadrement encore fortement aristocratique. Cependant, à côté des "conducteurs" issus de la noblesse des principautés bourguignonnes, on trouvait aussi des capitaines mercenaires, notamment, de plus en plus nombreux à partir de 1472, des Italiens comme Troylo de Rossano, Pierre et Antoine de Lignana, Jacques Galeotto, et Cola di Monforte, comte de Campobasso. Ces capitaines, quoique désignés comme étant des "conducteurs de gens de guerre de l'ordonnance de monseigneur", avaient en réalité un statut particulier : retenus par contrat, ils n'étaient pas soumis à la règle du renouvellement annuel et leur service était régi, non par les ordonnances ducales, mais par les seules stipulations du contrat qui les liait au duc de Bourgogne.

Dans le domaine des structures militaires, les trois premiers ducs de Bourgogne, Philippe le Hardi, Jean sans Peur et Philippe le Bon, ne se sont pas révélés de grands réformateurs. De façon pragmatique, ils ont utilisé des structures héritées, notamment le système féodal, ils ont fait jouer certains types d'obligations militaires, recouru au volontariat, au mercenariat, mais n'ont pas cherché à modifier substantiellement l'instrument militaire dont ils disposaient ; ils n'ont pas tenté, en particulier, d'organiser une armée permanente. Très différente, en revanche, fut l'action du duc Charles. Ce dernier, en effet, à partir du moment où il eut en main le pouvoir d'un chef de guerre au sein de l'État bourguignon, c'est-à-dire à partir de 1465, lorsqu'il devint lieutenant général de son père, engagea l'institution militaire dans la voie d'une réforme importante dont le but ultime était, sans renoncer aux anciennes structures utilisées par ses prédécesseurs, de mettre sur pied une armée dotée d'un fort noyau permanent.

Par ailleurs, sur le plan de l'histoire de la guerre, on pourra noter un paradoxe assez saisissant : pour l'État bourguignon, le temps des succès coïncida avec un certain conservatisme dans le domaine des institutions militaires, alors que la grande entreprise réformatrice menée par le duc Charles fut suivie par de grands revers et des échecs décisifs. Mais en fait, ce paradoxe n'est qu'apparent car les réformes institutionnelles étaient le reflet d'une ambition politique qui conduisit le prince dans de vastes entreprises. Celles-ci provoquèrent à brève échéance l'usure rapide et finalement la destruction de son instrument militaire.

Bertrand SCHNERB

(theatrum-belli.com)
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