mardi 26 juillet 2011

Voilà la sauce que nos brillants hebdomadaires nationaux nous ressortent annuellement, et en général à peu près à la même période. L'Express, VSD, Marianne, Le Point, etc. tous y vont gaiement de leur couverture sur un scoop ou une nouvelle enquête sur la Franc-maçonnerie.

Les titres sont toujours racoleurs, supposant d'hypothétiques révélations ou des études de fond pour lever le voile sur des « mystères ». Ces titres sont interchangeables, et les magazines se les échangent gaiement, permutant aussi parfois un nombre limité de photos (cf. l'exemple des deux numéros du Figaro Magazine).

Le contenu des articles annoncés ainsi à grand renfort de roulements de tambours, est bien évidemment toujours le même. Quelques généralités sur la Franc-maçonnerie, un résumé des questions que l'on se pose à son sujet, quelques photos, une page sur les francs-maçons célèbres, un encart sur les affaires qui ont impliqué des loges maçonniques, etc.

J'ai dit racoleur, et je maintiens, c'est tout ce qu'il en reste. Fini le temps de l'anti-maçonnisme militant. Tout d'abord clérical (voir ici pour les bulles papales concernées) envers une maçonnerie qui le lui rendait bien – et le sujet ici n'est pas de savoir qui a commencé, il a été ensuite politique, culminant sous Vichy (voir encore ici).

Oh l'anti-maçonnisme a encore de beaux restes, mais il a changé. Même s'il reste encore la cible privilégiée, parmi d'autres, de certains groupes d'extrême-droite (maçons agressés, Temple vandalisé à Orange, etc.), le fond est maintenant plutôt marqué de sensationnalisme tendance « affaires ». Ce que l'on reproche aujourd'hui à la Maçonnerie n'est plus son attachement à la défense des valeurs républicaines, libertaires et égalitaires, mais son népotisme, son affairisme (le célèbre scandale de la loge P2 pour ne citer que cet exemple).

Loin de moi l'intention de nier l'existence de l'affairisme en maçonnerie. Il existe, il a toujours existé. Mais comme dans tout groupement réunissant des gens d'influence surtout lorsqu'ils se regroupent corporativement, ce qui est, hélas, bien souvent le cas (et quand ça ne l'est pas dans les loges, ça l'est dans les fraternelles)…

Mais ne perdons pas de vue une donnée fondamentale en maçonnerie : il y a autant de maçonneries que de loges. La loge est l'élément de base de la Franc-maçonnerie, elle est constituée généralement de quelques dizaines de frères maçons (ou sœurs, ou les deux selon les cas), et constituent « l'unité de travail » de la maçonnerie. Le travail maçonnique se fait en loge, et la plupart des maçons ne sortent que rarement de la leur. Certes, les loges sont fédérées en Obédiences (le Grand Orient, La Grande Loge, etc.) mais l'influence de ces organisations (qui sont des associations loi de 1901) ne s'exerce que dans des limites bien définies. Chaque loge finit par définir sa propre approche de la Franc-maçonnerie, et les différences sont d'autant plus flagrantes que l'on s'éloigne des organisations « officielles ».

Car il n'y a évidemment pas « d'organe régulateur » de la maçonnerie, pas d'équivalent du CSA pour définir ce qui est vraiment maçonnique ou pas. N'importe qui peut créer une association et la baptiser du nom de Grande Loge Machin Chose, et se targuer d'un héritage maçonnique. Les courants maçonniques, d'inspiration maçonnique ou qui se revendiquent de filiations maçonniques (abusivement ou à juste titre) sont nombreux.

Ceci dit, là n'est pas le propos, et le contenu de ces fameux articles n'est que très rarement agressif ou accusateur (contrairement aux grands titres de couverture qui le sont plus souvent). Non, ils sont généralistes, fade réédition de l'article de l'année dernière, pâle recopiage du quatrième de couverture d'un quelconque ouvrage de vulgarisation, probablement appelé Qu'est-ce que la Franc-maçonnerie. Attention, je ne fustige pas ici la presse dans son ensemble, il y a évidemment de nombreux sujets de circonstance qui sont intéressants, nécessaires et utiles ; Mais une certaine presse à sensation qui nous ressasse annuellement les mêmes soupes, les mêmes « dossiers », où l'utilisation à répétition de titres accrocheurs ne fait qu'entretenir un mythe, souvent allusions subtiles teintées de relents du sempiternel « complot ».

Qu'il est facile de titrer en Une « Les Francs-maçons, éminences grises du pouvoir ? », même si on ne va se contenter que de vaguement exposer que ce n'est pas vraiment le cas ou (concession aux sceptiques) que l'on n'a pas d'éléments suffisants pour être plus concret.

Desproges (encore une fois) le disait très bien, lors d'une diatribe à l'encontre d'Alain Ayache :

"[...] Le titre du Meilleur le voici : La fusée Ariane victime d'un sabotage ?
Avec un point d'interrogation. Vous avez tout compris, sans point d'interrogation, le titre La fusée Ariane victime d'un sabotage relevait du mensonge pur et simple. Avec un point d'interrogation, on peut tout dire sans risquer la diffamation et c'est très intéressant sur le plan de l'accroche-connard, car le susdit connard pour peu qu'il soit myope, inculte, dyslexique ou simplement pressé, ne verra même pas le point d'interrogation.
A partir de quoi, moi, si je veux, je peux très bien dire, ou écrire sur dix colonnes : le prince Rainier remarié avec Alain Ayache ?
Tout le bon goût et l'élégance qui faisaient défaut à ce pauvre Langlois sont dans ce point d'interrogation qu'on peut d'ailleurs alterner avec une autre forme d'escroquerie journalistique banale que j'appellerais l'insinuation négative.
Exemple : Il n'y a rien entre le prince Rainier et Alain Ayache..."

(Pierre Desproges, Tribunal des Flagrants Délires, 1982)

Encore plus éloquent, ce pseudo (?) mea culpa du Nouvel Obs :

« La couverture sur « Nice : les francs-maçons et la justice » (n° 2086) nous a valu quelques lettres furibondes, comme celle de Michel Kellerman, qui met en cause cette une. « Pourquoi cette fixation des limiers du Nouvel Obs sur ce réseau franc-maçon ? Je me permets de vous signaler que des "réseaux" autrement influents, il y en a, et beaucoup », citant l'Opus Dei, la Scientologie, les homos, les chiraquiens, les Corses... « Que de beaux sujets d'enquêtes », conclut ce vieil abonné, qui termine par « bravo pour la qualité du "Nouvel Obs" en général ». Quant à Jean-Paul Lemaire, il rappelle que « l'obédience à laquelle appartiennent les protagonistes de cette regrettable affaire est très minoritaire et se concentre essentiellement dans deux régions, l'Ile-de-France et Paca. Elle est connue pour ne recruter que dans certains milieux socioprofessionnels bien ciblés, pour pratiquer aussi ce que nous nommons la "maçonnerie alimentaire", mais ne saurait être en aucun cas représentative des quelques dizaines de milliers de femmes et d'hommes qui ont choisi la franc-maçonnerie. »
Même avis d'Alain Boulfroy, fidèle lecteur qui n'a pas raté un numéro depuis quarante ans, bien qu'il soit, ajoute-t-il, « de temps en temps agacé par une tendance bobo » de « l'Obs ». Il appartient à un atelier de la Grande Loge de France, et il est « fatigué de voir, dans la presse, cette généralisation ». Notre une « sans nuance incite le lecteur, qui si cela se trouve ne lira pas votre article, au demeurant remarquable, à mettre tous les maçons dans la catégorie "tous pourris" ». Si je comprends bien, ce n'est pas le contenu du dossier que vous critiquez, mais le fait d'en avoir fait cette couverture. Nostra culpa. D'autant que plusieurs lecteurs nous font remarquer que le mot « Nice », bleu sur noir, est illisible. Comme nous le suggère ce lecteur, nous aurions dû écrire "Nice : les francs-maçons de la Grande Loge nationale de France et la justice" ».

(Archives du Nouvel Obs)

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