Michel Onfray, Sartre et la nausée
Les lecteurs voraces ont parfois de formidables bonheurs. Ils ne durent qu'un instant mais leur intensité est inimaginable.
Avoir lu la chronique du samedi de Michel Onfray sur "Le siècle de Sartre" dans Le Monde relève de ce miracle où l'intelligence se mêle à la lucidité et à la vérité.
Avec une cruauté salubre, Michel Onfray tire le pire à l'encontre de Jean-Paul Sartre des entretiens donnés par ce dernier entre 1970 et 1974 à John Gerassi, le fils d'amis proches du philosophe.
L'inventaire est terrible, qui va des insultes à caractère bestial sur Charles de Gaulle aux lâchetés ordinaires sous l'Occupation et aux soutiens apportés aux régimes les plus sanguinaires et les plus totalitaires : l'URSS, ou la Chine de Mao qui n'aurait pas entraîné autant de morts qu'on le dit sous la Révolution culturelle... Plus généralement, il développe "une théorie du gouvernement par la terreur", justifie "l'illégalisme révolutionnaire" et approuve le "bain de sang", une révolution devant aller jusqu'au bout de sa volonté de massacre. Les attentats palestiniens terroristes de 1972 sont ainsi approuvés de même d'ailleurs que les assassinats perpétrés par "la bande à Baader".
Et, dans ce texte décapant de Michel Onfray, écrit avec une froideur critique impressionnante, ne couvrant même pas une demi-page, encore d'autres exemples révélant une grave méconnaissance de la réalité hitlérienne, la légèreté avec laquelle Simone de Beauvoir a écrit "La longue marche", durant un temps une indifférence à l'égard de la politique puis une conception odieuse et terroriste de l'Histoire. Vraisemblablement ce prurit des intellectuels, d'autant plus enflammés et mortifères dans leur verbe et leurs écrits qu'ils ressentent comme une honte chronique le fait de ne pouvoir offrir que des mots au lieu de l'action violente dont ils rêveraient !
Et John Gerassi conclut :" Sartre n'est pas seulement le plus grand moraliste de ce siècle. C'est aussi son plus grand prophète" !
De quoi, en effet, donner la nausée ! L'existentialisme n'est clairement pas un humanisme !
Que Michel Onfray ait pu écrire cette charge extraite de Sartre par lui-même dans Le Monde ajoute beaucoup à mon sentiment de plénitude. Non pas que ce grand quotidien aurait été jusqu'à approuver ces horreurs mais le climat intellectuel et philosophique dont il raffole n'aurait sans doute pas mis en exergue à propos de Sartre, ce qui obère tragiquement son image. Bien sûr, ce sombre pan de Jean-Paul Sartre ne dégrade pas toute son oeuvre mais comme il n'est jamais rappelé, il prend évidemment une importance capitale et destructrice.
Michel Onfray est d'ailleurs un habitué du genre et plusieurs de ses interventions dans ce cadre m'ont marqué par une brutalité vraie qui tranche sur les accommodements de la pensée. Autant la sensualité païenne et la passion de l'instant d'Onfray m'ont toujours semblé étrangères à ce que je suis, autant son courage intellectuel, son art inouï de la pédagogie dans le respect du peuple avec "l'Université populaire de Caen" et son rapport tout de considération non feinte aux humbles de la vie suscitent mon estime.
Je me souviens de la manière élogieuse, sans réserve aucune, dont Le Monde avait rendu compte du "Siècle de Sartre" écrit par Bernard-Henri Lévy. Comme souvent avec celui-ci, il s'agissait d'un grand livre malhonnête dont on sentait à chaque page qu'il était destiné à nous proposer en creux BHL comme modèle du philosophe d'aujourd'hui, en tout cas comme le nouveau Sartre. Cette ambition absurde aurait été sans conséquence si elle n'avait pas conduit BHL non seulement à taire les ignominies ordinaires ou scandaleuses rapportées par Onfray mais, quand il en évoquait certaines, à les approuver en les justifiant par une sorte de surenchère dans l'adhésion. Au fond, ce qui était indéfendable devait être sublimé.
J'ose dire que sur ce plan, et ce n'est sans doute pas le seul, Michel Onfray est l'anti BHL exemplaire.
J'ai déjà attiré l'attention de mes lecteurs sur le livre de Pascal Boniface, "Les intellectuels faussaires - Le triomphe médiatique des experts en mensonge". Un chapitre traite de Caroline Fourest mais un autre, le dernier et le plus long, de BHL. Je ne me fais aucune illusion. On parlera très peu de cet ouvrage et son auteur ne sera pas invité à développer sa pensée et ses critiques, sauf par quelques kamikazes médiatiques. Pas de radio, pas de télévision, très peu de presse écrite pour qui s'en prend aux "vaches sacrées" dans notre espace de l'étouffement, de la bienséance et de l'impunité. Pourtant, si tout ce que décrit Pascal Boniface sur BHL est certain, des passe-droits anodins aux menaces ouvertes, de l'emprise par l'argent à la domination par la peur, des trahisons de la réalité et de la vérité aux procédés qui émanant d'un autre et connus n'auraient pas été tolérés une seule seconde, alors le système mis en place, avalisé, légitimé par la lâcheté médiatique est hallucinant ! Je suis curieux de savoir ce que des lecteurs de bonne foi en penseront ou serai-je le seul à être indigné ?
Aussi, devant ces exemples qui découragent - le constat est accablant mais la pente si rude ! -, Michel Onfray remet du baume au coeur et à l'esprit, nous évite, lui, la nausée.
Rien n'est perdu et la politique du pire doit être refusée puisqu'il y a encore des personnalités capables de dénoncer le pire de la politique, le dévoiement de la morale et le goût du sang révolutionnaire, même s'ils viennent d'un Jean-Paul Sartre.
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