A un an de la présidentielle, le spectre d'un «21 avril» pèse sur les stratégies
Afin d’éviter la présence de l’extrême droite au second tour, les uns veulent s’adresser à son électorat, d’autres limiter le nombre de candidats.
La perspective d’une présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2012 fait planer, neuf ans après, le spectre d’un nouveau « 21 avril », en référence à la qualification de Jean-Marie Le Pen en 2002.
Avec une incertitude sur l’éventuelle configuration du second tour : un duel FN-UMP ou FN-PS (« 21 avril à l’envers »). Les états-majors de droite et de gauche s’activent donc afin d’écarter cette perspective. La première façon de limiter les risques d’un « 21 avril » est mécanique : elle consiste à limiter l’offre politique à droite et à gauche.
De fait, en 2002, le record du nombre de candidats avait été battu, avec 16 prétendants contre 9 en 1988 et 1995, 10 en 1981, 12 en 1974, 7 en 1969 et 6 en 1965. Originellement, en 1962, les candidats devaient au préalable présenter 100 parrainages, un chiffre porté en 1976 à 500 élus par crainte d’une inflation du nombre de candidatures.
Divisée entre Pascal Gauchon (Parti des forces nouvelles) et Jean-Marie Le Pen (Front national), l’extrême droite n’avait ainsi pas pu participer à la présidentielle de 1981 ; même chose pour l’écologiste indépendant Antoine Waechter en 1995 et 2002, pour le souverainiste Charles Pasqua en 2002 ou encore pour le gaulliste Nicolas Dupont-Aignan en 2007.
Les primaires, une idée qui émerge en 1989
Au-delà de ce filtre juridique, l’idée de mettre en place une primaire afin de présenter un candidat unique à l’élection présidentielle a été régulièrement avancée. Dès 1989, Charles Pasqua fonde ainsi une « Association pour les primaires à la française aux élections présidentielles ». Le principe de l’organisation de primaires sera bien adopté en 1990, puis une charte signée en 1991, mais le projet sera finalement abandonné en 1994 par le RPR et l’UDF dans le contexte de la division entre Jacques Chirac et Édouard Balladur. L’idée a toutefois été relancée en 2008, à gauche cette fois, par la fondation Terra Nova. Encore traumatisé par l’élimination de Lionel Jospin en 2002, le PS a donc décidé, en juillet 2010, d’organiser les 9 et 16 octobre 2011 une primaire « ouverte à tous les citoyen(ne)s qui veulent la victoire de la gauche en 2012 et co-organisée par les formations politiques de gauche qui souhaitent y participer », avec un dépôt des candidatures ouvert du 28 juin au 13 juillet 2011.Pour l’instant, aucun autre parti de gauche n’a toutefois décidé d’y participer : si le MRC de Jean-Pierre Chevènement et le PRG de Jean-Michel Baylet n’ont peut-être pas définitivement fermé la porte, Europe Écologie-Les Verts ainsi que le Front de gauche (PCF et Parti de gauche) ont déjà entamé le processus de désignation de leur propre candidat. Un ultime « Appel du 21 avril » vient tout de même d’être rendu public, exhortant « tous les partis de gauche à travailler ensemble sur une plate-forme commune visant la désignation d’un candidat unitaire dès le premier tour, grâce à des primaires ouvertes ».
Limiter le nombre de candidats, leitmotiv de Sarkozy
Parmi les signataires figurent notamment Laurianne Deniaud, présidente du Mouvement des jeunes socialistes, et Olivier Ferrand, président-fondateur de Terra Nova. « Je pense que c’est une erreur, que cela figerait la vie politique française, cela appauvrirait notre débat démocratique », a répondu, le 20 avril, sur France 2, Eva Joly, candidate à la candidature au sein d’Europe Écologie-Les Verts. À droite également, la volonté de limiter le nombre de candidats est un leitmotiv de Nicolas Sarkozy. Pour l’Élysée, il s’agit non seulement d’éloigner le spectre d’un « 21 avril », mais également d’afficher la conviction que la victoire s’obtient en distançant au premier tour son adversaire du second. En 2007, Nicolas Sarkozy avait en effet obtenu 31 % au premier tour, contre 26 % pour Ségolène Royal. Or, les éventuelles candidatures du radical Jean-Louis Borloo et du gaulliste Dominique de Villepin, tous les deux membres de l’UMP jusqu’à cette année, risqueraient de porter un coup fatal à cette stratégie.L’ancien ministre Alain Lamassoure suggère donc, dans une tribune publiée dans Le Monde daté du 21 avril que le président sortant prenne « lui-même l’initiative de proposer des primaires à droite, en annonçant sa propre candidature ». Selon ce parlementaire européen UMP issu de l’UDF, « les ambitions seraient mises au défi de se dévoiler » et « si personne n’ose sortir du bois, la preuve sera faite que, pour représenter la majorité actuelle, Nicolas Sarkozy n’est peut-être pas le meilleur candidat, mais que c’est le seul possible ».
Reconquérir l'électorat de l'extrême-droite
La seconde façon de limiter les risques est de s’adresser directement aux électeurs tentés par un vote en faveur de Marine Le Pen, notamment dans les catégories populaires. C’est dans cet objectif de reconquête de l’électorat d’extrême droite, qu’il avait en partie capté en 2007, que Nicolas Sarkozy a « redroitisé » son image depuis le discours prononcé en juillet 2010, à Grenoble, sur la sécurité.Les récents propos controversés sur l’islam et l’immigration de Claude Guéant, ministre de l’intérieur, s’inscrivent également dans cette logique. Même chose en ce qui concerne le déplacement effectué mardi 19 avril par le président de la République à Charleville-Mézières (Ardennes), là où celui qui se voulait « le président du pouvoir d’achat » avait prononcé en 2006 son discours sur « la France qui souffre ».
À gauche, telle est également la stratégie d’Arnaud Montebourg (PS), candidat déclaré à la primaire, à travers le concept antilibéral de « démondialisation ».
En rupture avec la politique menée par tous les gouvernements de droite et de gauche depuis le « tournant de la rigueur » de 1983, ce concept est défendu par les économistes Jean-Luc Gréau et Jacques Sapir, sur les analyses desquels s’appuie également le FN.
La récupération de travaux d’économistes extérieurs à l’extrême droite participe en effet de l’ambition de Marine Le Pen de crédibiliser son programme et de respectabiliser son image. « Les grands serviteurs de l’État réellement soucieux de l’intérêt général n’ont aucune raison de redouter notre arrivée au pouvoir et l’application des idées que je porte », a même écrit Marine Le Pen aux préfets, dans une lettre dévoilée sur le site Marianne2.
Le parti d’extrême droite a en outre donné des consignes afin d’interdire de son traditionnel défilé du 1er mai « tout ce qui ressemble de près ou de loin à un ‘‘skinhead’’ », ainsi que les « tenues vestimentaires type treillis, rangers, etc. ».
Enfin, mardi dernier, Alexandre Gabriac, l’un de ses trois élus proches du groupuscule pétainiste L’Œuvre française, a été exclu du parti.
Preuve que le FN veut devenir une formation comme une autre. Mais preuve, aussi, que ce n’est pas encore le cas.
LAURENT DE BOISSIEU ¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤ |
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